LES ENTITES PRIMORDIALES
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A). HESIODE
1. CHAOS: de chaskô, chasma: faille, entrebâillement.
= Fente béante non spatiale et non temporelle.
= Apparition fulgurante et instantanée de la radiance et de l'énergie primordiale, installant dans l'ensemble de la vacuité
les éléments constitutifs de l'Univers à venir. Sans pour autant qu'il y ait confusion des dits éléments.
La traduction la plus usitée qui est Abîme ou Gouffre, se rapproche davantage du sens du mot "Bathos" : Profondeur,
et impliquerait une spatialisation, un "endroit", et se trouverait donc dans un lieu situé dans l'Espace.
Ce qui est étranger au concept de Chaos.
Il convient donc de comprendre Abîme dans son sens poétique et figuré, ("Abîme Primordial, Abîme insondable,
Gouffre Originel, etc...").
Le mot Chaos, étant compris dans le sens d'une confusion ou d'un désordre cosmique, (dans l'acception moderne de "chaotique") est une méprise due à une interprétation stoïcienne, jouant sur le verbe chéô: verser ou répandre,
(des éléments répandus ensemble). Version qui sera plus tard reprise par Ovide dans le Chant I de ses Métamorphoses: "Masse grossière et indigeste, où rien n'était, sinon semences discordantes et mal assorties, assemblées en une même place, éléments sans aucun lien entre eux".
Le Chaos que chante Hésiode n'est pas le conflit perpétuel des Puissances dans un mélange cosmique.
La guerre des éléments aura bien lieu, mais plus tard. De même, les tentatives d'assimiler Chaos à l'élément liquide indifférencié ou au non-être, -si elles peuvent trouver une résonance philosophique- sont hors de propos en ce qui concerne l'esprit de la Cosmogonie grecque.
On doit l'une de ces propositions à Plutarque (Isis et Osiris) qui peut-être s'inspira de l'ancien mythe du Noun égyptien, immense chaos liquide, conçu comme un océan sans limite de temps et d'espace, d'où aurait émergé la création. ( (1) )
Quant aux discours sur l'être et le non-être, il faudra attendre Héraclite et Parménide.
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2. EREBOS et NYX: "Ténèbres" et "Noirceur".
"De Chaos naquirent Erèbe et la noire Nuit. Et de la Nuit sortirent Aether et Hémèré"
(Hés. Th. 123-124).
Ténèbres et obscurité. Si la frontière reste subtile et impénétrable, elle propose néanmoins deux pôles de possibilités à venir. On peut comme interprétation, parler de l'Erèbe comme du rejeton de la Grande Nuit Primordiale dans le monde
en gestation; et qui, gardant son insondable densité opaque, recevra dans la Tradition grecque l'épithète de:
"Ténèbres infernales", ou "d'Abîme souterrain". ( "Gouffre couvert", R. Graves).
Sa soeur Nyx (Nuit), plus nuancée en noirceur, porte en elle la possibilité d'alternance des contraires, puisqu'elle engendrera Aether et Héméra, (La brillance du Ciel supérieur et la Lumière du Jour).
Et peut-être Parménide s'inspira-t-il du récit de cette phase de la création quant il dit:
"Tout est empli en même temps de lumière et de nuit sans lumière..." (Parm. Fr. 9).
= AETHER: de aithô: brûler, étincelant, brillance.
Région supérieure du Ciel, pure et lumineuse. Futur séjour de Zeus (Homère).
= HEMERA: la Lumière du Jour. Elle permettra, comme le souligne R. Sorel, "de nuancer la Nature suivant une alternance diurne et nocturne" ( (2) ) , cadre dans lequel viendront bientôt se mouvoir les luminaires appropriés.
Il faut cependant souligner que la nuit du cycle journalier, humain (nuctos), ne sera jamais dans l'âme grecque ou dans
la poésie, assimilée à la grande Nuit originelle: Nyx.
Comme on peut le constater, l'engendrement des premiers éléments du monde se manifesta dans la plus complète noirceur. Mais l'Oeuvre Hermétique, qui reproduit à partir du Chaos Philosophique la Création dans le microcosme,
ne commence-t-il pas traditionnellement sous un voile de Ténèbres...
= Erèbe est une vacuité et ne possède pas de descendance.
= Nyx, quant à elle, engendrera une série d'abstractions telles que: Discorde (Eris), Le Sort (Moros), Sarcasme,
Peine, Oubli, Faim, Combat, Anarchie et Désastre, Meurtre, Serment....
Déesse puissante et redoutée, à laquelle "même Zeus craint de déplaire"(Hom. Il. 14. 258), elle demeure près de l'extrême Occident, aux frontières du monde.
Sans doute pour cette raison, Les Hespérides (
(3) ) -les Nymphes gardiennes du couchant- seront également
ses filles dans la théogonie hésiodique.
Egalement dans la descendance de Nyx:
Hypnos, le Sommeil.
Fils de la Nuit et de l'Erebe, Hypnos est la personnification du sommeil.
Divinité presque abstraite -comme la plupart des enfants de la Nuit- il ne possède que peu de légendes personnelles.
La seule étant son amour pour le berger Endymion, à qui il accorda le don de dormir les yeux ouverts, afin qu'il puisse
le regarder pendant son sommeil.
Il est représenté comme un génie ailé parcourant le monde terrestre et marin pour endormir les hommes et les bêtes.
"Sommeil ignorant de la peine et de la douleur"
"Permet de garder sous nos paupières"
"Toute cette douceur qui dort..."
"Toi qui sait guérir toutes les peines des humains"
"Refuge des malades,"
"Souffle sur nous ta douce haleine"
"O Prince des belles heures"
Sophocle, hymne au Sommeil-extrait- (trad. Y.Thanes)
= Morphée. Les rêves.
Morphée est l'un des mille enfants d'Hypnos. Son nom est dérivé de "morphos" - la forme-.
Il représente les formes et les apparitions présentes dans le Sommeil, c'est à dire les rêves.
Génie possédant de grandes ailes rapides et silencieuses, il peut se déplacer presque instantanément d'une extrémité du monde à l'autre.
Thanatos, la Mort.
Thanatos est la personnification de la mort. Frère du Sommeil, il est représenté le plus souvent comme un génie ailé.
Il n'a pas de descendance et la seule aventure mythique qu'on lui connaisse est sa capture et son enchaînement par Sisyphe.
Pendant le temps qu'il resta prisonnier, plus aucun être ne mourut sur terre.
Il fallut l'intervention de Zeus -qui força Sisyphe à libérer Thanatos- afin que l'Ordre du monde soit rétabli.
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3.OUREA: Les Hautes Montagnes.
En exprimant le relief de la Terre, elles offrent la dualité vallées/sommets et délimitent ainsi les frontières de la Terre
et du Ciel. Elles deviendront "le plaisant séjour des Nymphes, habitantes des monts vallonnés". ( Hés. Th. 128-130).
4. PONTOS. Le Flot.
Pontos, sorti des flans de Gaia, représente les "Grandes Eaux salées", c'est-à-dire la haute mer aux courants incertains,
le grand large et ses profondeurs inquiétantes. Il symbolise la masse liquide inhospitalière aux perpétuels dangers,
en opposition avec thalassa, la mer connue et navigable. Il ne possède pratiquement pas de légende personnelle dans
la Théogonie, si ce n'est l'énumération de sa nombreuse descendance.
Uni à Gaia, il engendrera Nérée: le "Vieux de la Mer", Thaumas, Phorkys, Eurybié, enfants qui à leur tour seront à l'origine d'une lignée de divinités ou de personnifications liées aux apparitions atmosphériques ou marines,
Néréides (les vagues humides de la mer), Iris (l'arc-en-ciel), Astréas, Persès, ou de nombreuses entités inquiétantes, monstrueuses et malfaisantes, comme les Gorgones (Méduse), les Harpyes, Géryon, Cerbère, Chimère, l'Hydre de Lerne...
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